1er janvier 2013
A l’occasion d’une réflexion sur les « coups de bras », publiée aux USA par une spécialiste, Katie Arnolds, j’avais demandé à Marc Begotti, qui est le propagateur en France d’un travail où le nombre des coups de bras joue un rôle stratégique, certains éclaircissements sur la question. L’entraîneur de Catherine Plewinski (et de quelques autres), dans sa réponse, m’a fait connaître un travail qu’il avait réalisé en octobre dernier sur Camille Lacourt, et publié à titre d’exemple dans le site de la région Dauphiné-Savoie, dont il est actuellement le Conseiller technique. La méthode des coups de bras représente beaucoup plus qu’un comptage, c’est une philosophie, une approche de l’entraînement dans laquelle tous les éléments de la performance (physiologiques et techniques) sont reliés et s’emboîtent dans une stratégie de réussite. L’analyse du cas Camille Lacourt et de l’érosion de sa valeur athlétique en dos illustrait bien le caractère total de l’approche de Marc.
Il va de soi que Marc Begotti n’entend pas se substituer au travail des entraîneurs de Lacourt, Romain Barnier à Marseille et Ian Pope à Melbourne. On peut lire ce texte comme le plan qu’il aurait mis en place personnellement pour contrarier l’érosion, constatée depuis trois ans, de la nage de l’intéressé. Je n’y vois là aucune arrogance, seulement le signe de la passion d’un entraîneur pour tout ce qui nage, et dont j’ai vu d’innombrables exemples autour des bassins (qui n’a pas un plan pour le retour de Michaël Phelps à la compétition ?). N’oublions pas, par ailleurs, qu’il s’est fait une spécialité de récupérer des nageurs en perte de vitesse, dont l’exemple le plus illustre est Franck Esposito… On ne pourra être par ailleurs, bien entendu, que parfaitement d’accord avec Begotti quand il constate que le 50 mètres, dont Lacourt est le champion du monde, ne peut constituer un objectif olympique pour Rio, cette course n’étant pas au programme des Jeux de 2016.
Après quelques hésitations, j’ai préféré détacher le texte concernant Lacourt et le présenter tel quel, avec le moins de changements possibles. Cette façon de faire le prive de toute la fondation théorique qui l’accompagne, mais montre bien les informations que nous donne le comptage des coups de bras, en phase avec le temps chronométrique du nageur, mais aussi les solutions qu’il dicte à l’entraîneur. J’espère pouvoir revenir bientôt avec un article complet sur les coups de bras.
Pour ceux qui veulent approfondir ce riche travail, ils peuvent le trouver sur le site web du Comité régional de natation du Dauphiné-Savoie.
« La réduction du nombre de coups de bras, explique Marc Begotti, ne se limite pas à « allonger sa nage » mais implique de pulser de plus grandes masses d’eau, avec une plus grande intensité de force, pendant plus longtemps vers l’arrière… Tout un programme ! »
« Le fonctionnement du nageur dont le but est de réaliser une performance est organisé en structure, continue-t-il. Comme dans toutes structures les éléments qui la composent ne sont pas les uns à côté des autres, mais dépendants les uns des autres, et leurs inter relations peuvent varier pendant l’épreuve. C’est pour cette raison que l’on observe des fluctuations de vitesse moyenne d’un 50 mètres à l’autre, et des fluctuations du nombre de coups de bras nécessaire d’un 50 mètres à l’autre dans la course. »
Les performances réalisées par C. LACOURT sur 100 mètres dos en finale des compétitions majeures de 2010, 2011, 2012 et 2013.
– Europe 2010 : 25’’43 (30) 26’’68 (33) 52’’11 (63)
– Monde 2011 : 25’’26 (30) 27’’50 (35) 52’’76 (65)
– J. O. 2012 : 25’’31 (31) 27’’77 (35) 53’’08 (66)
– Monde 2013 : 25’’46 (31) 28’’05 (35) 53’’51 (66)
Entre parenthèses le nombre de coups de bras nécessaire pour couvrir la distance correspondant au temps réalisé.
« Constats : Camille LACOURT nage chronologiquement et de façon constante le 100 mètres dos de moins en moins vite. Il perd 1’’40 entre 2010 et 2013 (52’’11 ; 52’’76 ; 53’’08 ; 53’’51). Camille LACOURT a besoin d’un nombre de coups de bras supérieur pour nager le 100 mètres. + 3 coups de bras entre 2010 et 2013 (63 ; 65 ; 66 ; 66). Au bout du compte, entre 2010 et 2013 C. LACOURT nage le 100 mètres dos 1’’40 moins vite tout en ayant besoin de 3 coups de bras supplémentaires.
Entre 2010 et 2013 le temps réalisé sur le premier 50 mètres de l’épreuve reste le même (25’’43 – 25’’46) mais pour nager à la même vitesse, LACOURT a besoin d’un coup de bras supplémentaire en 2013 (30 – 31). Entre 2010 et 2013, le temps réalisé sur le deuxième 50 mètres de l’épreuve est en constante augmentation : + 1’’37 (26’’68 – 28’’05). Même constat concernant le nombre de coups bras nécessaire pour couvrir le deuxième 50 mètres : + 2 (33 – 35). » Lacourt augmente sa fréquence et sa vitesse diminue…
« Force est de constater que ce que nous venons d’observer s’installe progressivement et de façon prégnante d’une saison à l’autre entre 2010 et 2013. »
Comment Marc Begotti interprète-t-il ces faits ?
« Le rendement de LACOURT entre 2010 et 2013 est en constante régression (un besoin de toujours plus de coups de bras pour toujours nager moins vite). (Il est important de constater qu’il est champion du monde 2013 du 50 mètres dos (24’’42) ; qu’il ne nage pas le 200 mètres dos ; et de préciser que « son épreuve olympique individuelle » éventuelle en 2016 à RIO sera le 100 mètres dos). »
Dès lors, fort de cette relation entre le nombre de coups de bras et l’évolution des temps du nageur, Marc Begotti émet un certain nombre d’hypothèses :
« LACOURT, entre 2010 et 2013, ne parvient pas à progresser. Or nous postulons qu’il est toujours possible de devenir meilleur nageur. Une (nouvelle) stratégie d’entraînement mériterait d’être imaginée et mise en œuvre (son but serait d’atteindre l’objectif olympique mais en tenant compte des informations sur le fonctionnement que nous donnent les analyses de courses). Se dire que Camille LACOURT doit être plus « endurant physiologiquement » pour pouvoir nager plus vite sur le deuxième 50 mètres n’est pas suffisant. Se dire qu’il devrait nager des 200 mètres dos en compétition, non plus. Ce qui l’empêche de progresser sur 100 mètres dos est un ensemble complexe de raisons sans doute liées à « l’endurance cardio-vasculaire », « l’endurance musculaire », « l’endurance technique » ainsi qu’à « des représentations mentales contre productives » qui impactent l’efficience, et sans doute aussi, désormais, à une confiance en soi effritée. »
On voit donc que derrière la « bête » comptabilité des coups de bras, se profile une analyse fouillée, multidimensionnelle, de la problématique du nageur… Le comptage des coups de bras apparait comme un élément essentiel d’une symptomatique de la nage, relié à des facteurs physiologiques, techniques et psychologiques (intentionnels)…
Pour Marc, « c’est l’amélioration du rendement (qui) doit être l’objectif de la stratégie d’entraînement. L’amélioration du rendement passe par une amélioration de l’efficience à l’épreuve de la durée, qui intègre bien sûr mais subordonne l’aspect physiologique aérobie.
De bonnes raisons nous font penser que Camille LACOURT n’a pas une représentation fondée de ce qu’il doit mettre en œuvre pour nager vite sur 100 mètres dos. Il serait particulièrement intéressant de lui demander de raconter ce qu’il fait tout au long de sa course, nous aurions ainsi accès à ses représentations qui nous donneraient de précieuses informations.
En effet les représentations bien souvent peuvent être des freins à la progression, et dans ce cas le nageur doit pouvoir en changer. Il ne serait pas surprenant que Camille LACOURT cherche pendant la course :
– « A nager haut » alors qu’il serait souhaitable qu’il reste aligné en immersion pour offrir moins de résistance ;
– « A dissocier ses jambes de ses bras » alors que ce n’est pas possible (les jambes sont coordonnées aux bras), cela serait extrêmement contre productif !
– « A mettre les jambes » dans le deuxième 50 mètres, ce qui aurait comme effet de faire passer à travers ses bras qui ainsi pulseraient moins d’eau et moins intensément ;
– « A augmenter la fréquence de bras » alors qu’être centré sur la fréquence se fait toujours au détriment de l’efficacité propulsive.
De bonnes raisons nous font croire que de telles représentations perturbent le fonctionnement dans la course mais cela reste à vérifier. »
Dès lors, l’entraîneur propose, en fonction de perspectives de compétition (sur 100 mètres dos aux Jeux olympiques), des stratégies, à la fois pédagogique et d’entraînement :
« D’abord un rappel, le record du monde d’Aaron PEIRSOL, 51’’94, représente un aller en 25’’35 et un retour en 26’’59. C. LACOURT doit pouvoir nager le 100 dos en 52’’11, temps réalisé en 2010. Nous pouvons imaginer que le titre de champion Olympique en 2016 sur 100 dos se remportera en 52’’ et moins.
Réaliser 51’’80, va être l’objectif chronométrique de la stratégie proposée car il s’agit bien de mettre en œuvre une stratégie d’entraînement.
Les hypothèses fortes qui viennent d’être formulées nous projettent déjà vers un fonctionnement de plus haut niveau que Camille LACOURT va devoir construire pour nager plus vite.
Nous savons que Camille LACOURT va devoir améliorer son rendement, et sans doute aussi changer ses représentations.
Les hypothèses fortes formulées nous conduisent à imaginer que si C. LACOURT nage un jour 51’’80 au 100 dos nous observerons : 25’’3 (29) 26’’5 (32) En effet nager 51’’80 impliquera un meilleur rendement qui permettra de nager plus vite, notamment sur la deuxième partie de course qui sera ainsi couverte avec moins de coups de bras.
Désormais ce qui va nous intéresser c’est le processus de transformations qui doit conduire au nouveau fonctionnement qui permettra sa réalisation ; j’insiste, il ne s’agit pas uniquement d’améliorer le système qui permet de transporter l’oxygène aux muscles (système aérobie), mais de transformer un fonctionnement, en sachant que les représentations du nageur peuvent être un frein à cette transformation.
Ce nouveau fonctionnement émergera d’une succession de transformations ordonnées ; ordonnées car subordonnées les unes aux autres.
La stratégie à expérimenter qui doit permettre d’atteindre l’objectif suppose premièrement de passer à travers l’eau avec une plus grande efficacité (corps projectile) :
Du plot de départ plongeon arrière (debout) : couvrir la plus grande distance possible sans action propulsive (doit dépasser 20m)…
Cette tâche doit permettre de construire un corps projectile de meilleur niveau. La hauteur de chute implique une vitesse préalablement acquise jamais atteinte, le nageur va pouvoir grâce à cette vitesse s’entraîner à organiser sa posture pour en profiter de façon optimale et couvrir une distance toujours plus importante.
Ensuite, il faut que le nageur se ré accélère plus intensément et passe à travers l’eau efficacement suivant un « rythme juste » (corps projectile – corps propulseur) :
1) Nager 400 mètres en dos 2 bras, sans temps d’arrêt mains cuisses et retours de bras très rapides allure régulière, effort aérobie 24 pulsations 24 par 10’’.
Prendre en compte le temps réalisé au 400 mètres et le nombre de coups de bras nécessaire pour couvrir chaque 50 mètres.
2) S’entraîner à nager toujours plus vite le 400 mètres dos 2 bras sans augmenter le nombre de cycles par 50 mètres à une allure régulière.
Le nageur après s’être propulsé est contraint à immédiatement se réorganiser en projectile ; devoir ramener très rapidement les bras a également une incidence sur l’intensité de force de la poussée des bras et sur la tonicité axiale.
Effort aérobie 24 pulsations 24 par 10’’ : Pour commencer il s’agit de nager à une intensité pas trop élevée (aérobie) afin de « mesurer » l’efficience ; ensuite devoir augmenter l’allure sans augmenter le nombre de coups de bras contraindra le nageur à la fois à pulser plus d’eau plus intensément mais aussi a se réorganiser en projectile immédiatement et plus longtemps. Le nageur deviendra donc plus efficient.
Dans la stratégie choisie, il convient de résoudre une contradiction : être capable de se ré accélérer intensément et passer efficacement à travers l’eau – sur une longue distance.
1) Nager de longues distances en dos (2000 mètres – 3000 mètres) pas de temps d’arrêt, mains aux cuisses, retours de bras rapides.
Grâce aux coordinations qui vont s’affiner est tendre vers une organisation (spatio-temporelle) projectile/propulseur plus efficiente, Nous devons observer, sans le demander, que la vitesse de nage augmente et que le nombre de coups de bras diminue.
Cette observation résultera d’un fonctionnement transformé.
2) – Être capable de nager : 3 x 800 mètres dos : entre 10’45’’ et 11’ allure régulière environ avec un nombre de coups de bras minimum et constant.
Dans le même temps :
Les objectifs poursuivis sont complémentaires et s’enrichissent les uns des autres.
– Nager le plus vite possible 50 mètres dos à 2 bras.
A chaque cycle de bras, en dos simultané, le nageur se ré accélère à une intensité (2 fois) supérieure qu’en dos alterné.
– Nager 50 dos au Start en moins de 26’’ avec moins de 30 coups de bras (longueur de coulée réglementaire) S’entraîner à le réaliser à n’importe quel moment
– Nager le plus vite possible 25 dos.
Ensuite, il convient de mettre le nageur à l’épreuve d’une certaine intensité.
– Être capable de nager : 40 x 50 dos D : 45’’ allure 31’’ et moins, avec un nombre de coups de bras minimum et constant (inférieur à 26)
Par ailleurs :
Augmenter le volume nagé annuel si celui-ci est inférieur à 1500 km. Le temps passé dans l’eau, le volume nagé sont des facteurs de transformations importants.
Couvrir la plus grande distance possible en ondulations sur le dos et en apnée en partant départ plongé du plot en dos (couvrir 50 mètres). Afin de construire un corps projectile et propulseur de meilleur niveau dans l’ondulation qui est un autre mode de locomotion (différent de la nage).
Supprimer la nage bras seuls et jambes seules et mettre le temps à profit pour nager en nage complète et dans d’autre nages que le dos (toujours rechercher l’efficience, les principes d’actions sont les mêmes dans toutes les nages). La raison en est la « perte de temps. (Le travail en trains séparés représente plus de 50% du temps d’entraînement !)
Augmentation de la puissance en salle : force de base du buste et des bras (entamer ce travail lorsque le rendement est devenu meilleur). La puissance et le rendement peuvent être contradictoires. Il faut améliorer le rendement pour augmenter ensuite la puissance.
Deux fois par semaine, 30’ de footing avec accroupissements et sauts en extensions toutes les minutes, puis toutes les 30’’.
Augmenter la puissance fournie par les jambes (équilibration et poussées sur masse solide).
Autre point que soulève Marc Begotti : « il convient de faire émerger les représentations et éventuellement en changer en apportant la preuve de leurs caractères non fondés. Ces représentations concernent les repères sensitifs : alignement – indéformabilité – intensité de force croissante. »
Enfin, vu que le nageur est censé faire de la compétition, les propositions de Marc sont les suivantes pour ce qui concerne ce chapitre : Abandon provisoire du 50 mètres dos, « l’objectif prioritaire étant le rendement, nager le 50 mètres dos pourrait le mettre en situation de risque de précipitation. »
« – Nager en papillon et en crawl : les principes d’action sont les mêmes dans toutes les nages excepté en brasse. »
« – Nager le 200 mètres dos (objectif 2’ et moins, à allure constante) dans le but de lui apprendre à gérer sa vitesse. »
« – Nager le 100 mètres dos : varier les stratégies de courses en recherchant le meilleur rendement possible sur le 2ième 50 mètres ; faire verbaliser les intentions et les modalités. »
« Conclusions : Croire que devenir toujours meilleur nageur n’est qu’une question de planification de charges d’entraînement est une illusion, plus le niveau de performance s’élève, plus les nageurs s’entraînent, moins nous pensons que c’est le cas.
Les équipes nationales de demain auront à leur côté un spécialiste « de la construction des fonctionnements », un didacticien dont le rôle sera de s’intéresser aux processus de transformations afin de rompre « les cercles vicieux » dans lesquels parfois nageurs et entraîneurs se retrouvent, de trouver et proposer des solutions qui touchent au fonctionnement quand le nageur ne progresse plus. »